Le Secret – 2
— Yorg revient !
Yolande arrivait en courant de la salle de contrôle. Elle se calma en voyant Martine froncer les sourcils. Paul commençait à récupérer, mais il n’était pas question de lui donner le moindre motif de s’exciter, et le retour du Yagrr – le premier homme de la surface avec qui ils avaient eu des contacts – allait certainement déclencher une frénésie de questions et d’activités chez lui. Heureusement, il dormait assez profondément pour que le cri de la jeune fille ne l’ait pas réveillé.
Elle continua, presque à voix basse :
— Le mouchard que nous avions installé dans la poignée de son sabre vient de se manifester. En fait, c’était déjà le cas depuis deux jours, mais je ne m’étais pas occupée de ces relevés.
— Depuis combien de temps avions-nous perdu sa trace ?
— Quatre mois. J’ai vérifié.
— Il a pu aller loin, en quatre mois. À cheval, on peut parcourir quelques milliers de kilomètres sur ce temps-là. Il va nous rapporter bien des informations sur l’état du monde vers l’est.
— À moins qu’il ne soit resté plus près, mais juste hors de portée du mouchard…
Martine fit la moue.
— Je ne crois pas. Le chef à la masse avait l’air bien trop décidé à retourner vers les terres dont ces fameux hommes-machines l’avaient chassé.
— S’ils ont été jusque-là, nous en saurons bientôt plus sur ces hommes et leurs machines.
— Oui, mais à condition que Yorg puisse rejoindre l’île.
La réponse de Yolande inquiéta Martine. Préoccupée par l’état de santé de Paul, et par l’étude des derniers travaux de Rokart-le-jeune, elle n’avait pas eu une minute à consacrer aux informations de l’extérieur au cours des dernières semaines.
— Tu as l’air d’en douter ?
— Il y a de plus en plus de cannibales dans la région. Les capteurs que nos amis ont disposés au sommet des collines ou dans les branches d’un certain nombre d’arbres ne font que nous montrer des groupes de ces cavaliers sillonnant la région dans tous les sens. Une colonne importante vient même d’arriver de l’est.
— Pourquoi se rassemblent-ils tous autour du lac ?
— Je ne sais pas. D’ailleurs, on ne peut pas dire qu’ils se rassemblent. Les nouveaux venus se tiennent à distance des premiers arrivés. Je ne crois pas que ce soient des alliés…
— Et au village ?
— Le vieux guerrier, Grodon, a fait renforcer les défenses. En fait, ils ont presque nettoyé la vallée de toutes les pierres ou de tous les débris de béton qui jonchaient le sol, pour construire un premier mur à deux kilomètres en aval du village, puis un second, à cinq cents mètres. Ils ont abattu la plupart des arbres sur les deux versants, à la fois pour éviter de se faire surprendre et pour construire des palissades. Le village est devenu un véritable camp fortifié.
Elle parlait avec enthousiasme : cet aspect de l’expérience avait parfaitement réussi et ils semblaient avoir pu fixer les nomades au pied du barrage. Ils n’étaient pas encore devenus des sédentaires, mais ils en prenaient le chemin.
— Mais ils sont si peu nombreux, poursuivit-elle. Malgré l’arrivée de quelques dizaines de fuyards chassés par les cavaliers noirs, ils ne sont qu’une poignée.
Martine comprit : ils n’avaient pas la moindre chance si les cannibales décidaient de les attaquer. Elle réfléchit un instant :
— Nous les avons déjà aidés une fois… Nous pourrions recommencer.
— À quatre ou cinq ? Même avec les mitraillettes, les lasers ou les lance-flammes, nous aurions du mal à venir à bout de plusieurs milliers de barbares déchaînés. Et nous ne pouvons pas prendre le risque d’infecter le Secret en passant trop souvent à l’extérieur. Nous passons par les chambres de décontamination chaque fois, mais un jour ou l’autre il y aura un incident. Elles ne sont pas faites pour une utilisation intensive.
— Si seulement nous pouvions sortir. Nous pourrions faire monter aussi les Survivants. Ils sont plus de vingt mille. Pas tous costauds, je sais, mais on trouverait certainement de quoi garnir les fortifications érigées par ce… Grodon.
Cette réflexion lui rappela les recherches de Rokart. Il avait certainement découvert quelque chose lors de son dernier Éveil, même si la conclusion n’avait pas été aussi positive qu’il l’avait un instant espéré.
Il était retourné au Sommeil depuis. Une manière de prendre la fuite. On l’avait réveillé pour s’occuper de Paul, ce qu’il avait fait consciencieusement, mais en évitant de retourner au laboratoire. Il craignait de ne pas résister à un échec de plus.
— Lance la procédure de Réveil pour quatre Veilleurs, ordonna Martine. Je veux que Rokart ait toute l’aide possible pour continuer ses recherches. Elles semblaient si prometteuses.